jeudi 19 décembre 2013

Cinéma. France. "Nous irons vivre ailleurs" entre guerrilla et poésie ?

"Quelque part en Afrique, Zola (Christian Mupondo) se laisse convaincre par un énigmatique et charismatique chef d’entreprise, que l’Europe est la seule sortie de secours à ses galères. La peur au ventre, Zola décide donc d’entreprendre un périlleux voyage pour la France."



Produit par la Vingt-cinquième heure, "Nous irons vivre ailleurs" est le premier film de Nicolas Karloszyk. Tourné sans budget entre l'Afrique, l'Espagne et la France, ce métrage de 75mn compense son manque de moyen par une forte personnalité.

Sur la forme, il se rapproche du "guerrilla filmmaking", expression qui regroupe les films tournés sans moyen, en peu de prises, sans autorisation et sans équipe (ou presque). On devine à travers les images l'énergie qu'il a fallu à Nicolas Karloszyk et à son acteur principal Christian Mupondo pour mener ce projet à bien : notamment "quatre mois de tournage à plein temps occupés à 90% par la logistique".


Je me méfie du cinéma engagé car il tente souvent d'asséner ses vérités comme autant de dogmes, sans humour, sans subtilité, sans grâce et finalement sans humanité. Heureusement, même si on peut lire à travers le film une critique acerbe de la fermeture des frontières, le film est bien plus que cela. "Nous irons vivre ailleurs" est la trajectoire personnelle d'un être humain, Zola, un type normal dont le seul tort est d'être né au mauvais moment et au mauvais endroit et auquel tout rêve d'épanouissement individuel et social est refusé.

Plutôt que de tenter de nous sortir des grands discours sur les flux migratoires et les politiques européennes face à l'immigration illégale,  le film se concentre sur son personnage central qui s'exprime peu et dont les silences sont finalement bien plus forts que les paroles. Il y a peu de dialogues, et ceux-ci ne sont même pas nécessaires. Pas plus que le rap qui ouvre et clôt le film, ou la musique planante qui illustre quelques scènes.

En fait, ce qu'il y a de plus convaincant dans "Nous irons vivre ailleurs", c'est la caméra de Nicolas Karloszyk qui se soumet totalement à son personnage central (l'acteur porte littéralement le film sur ses épaules).  La symbiose entre les deux (caméra et personnage) est parfaite. Le résultat est hautement cinématographique. On est bien dans une fiction et jamais dans un documentaire. Le film est subjectif et sensible comme une vie d'homme et le fil narratif est bourré d'ellipses qui retirent tout l'inutile pour ne garder que l'essentiel (et comme on le sait l'essentiel est dans les détails).

Quelques scènes (la bagarre et la conclusion) pourraient choquer ceux qui veulent faire dire au film des vérités absolues qu'il n'ébauche même pas. En fait son positionnement en tant que "film engagé" est discutable. Le terme "guerrilla" est trompeur. Il ne s'applique ici qu'à la forme mais pas au fond. "Nous irons vivre ailleurs" se rapproche bien plus de la poésie sociale du "Free Cinema" britannique des années 50 que du cinéma engagé et social tel qu'il est pratiqué aujourd'hui (pour plus d'infos sur le "Free Cinema", je vous invite à lire mon article publié sur mon site consacré au cinéma britannique).

Les imperfections techniques du film et sa courte durée finissent par faire sa force. "Nous irons vivre ailleurs" nous livre de beaux bouts d'humanité brute sans fioriture. Un beau portrait à hauteur d'homme qui vaut tous les discours lourdingues que les pro et anti immigration voudront vous faire avaler. Car in fine on parle bien d'êtres humains, non ?

A noter que j'ai eu le privilège de voir le film entre les murs de l'Assemblée Nationale. Voir un film si humain dans un lieu de pouvoir symbolique d'une république qui ne brille pas toujours par ses qualités humaines, était un moment privilégié. Et une excellente initiative.

N'hésitez pas à aller voir ce film s'il passe près de chez vous.
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=216648.html

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